C'est entendu.

jeudi 20 août 2009

[Vise un peu] Heartbreak Hotel - Snake Eyes

Paris n'a pas grand chose du Sud des Etats Unis. Paris n'a pas grand chose d'un western, non plus. Alors si l'on imagine des musiciens français s'essayer à la country, on les imaginera plus aisément avoir leurs pénates en Provence, sur les berges du Rhône ou de la Garonne ou même dans le no man's land du Massif Central, mais pas à Paris, et c'est pourtant là que s'est formé le duo dont je vais vous conter l'histoire.

Nikola Acin est disparu en Mai 2008. C'était après l'enregistrement de "Snake Eyes," mais un an avant sa sortie. Il avait écrit dans Rock&Folk, mais aussi traduit la biographie d'Andrew Loog Oldham, et publié sur Elvis. Il était aussi le leader des Hellboys, pendant la vague de re-renouveau rock en 2006 (avec les Naast, Second Sex, Plasticines, BB Brunes et tous ceux-là). Et puis il a monté ce duo avec le multi-instrumentiste Yarol Poupaud (le frère de Melvin, l'acteur), histoire d'enregistrer les chansons qu'il avait sous le coude avec l'aide d'un homme à tout faire de bon goût (Yarol a bossé avec les Hellboys, mais aussi Winston Mc Anuff, Adrienne Pauly ou FFF).

Heartbreak Hotel est donc un duo country français et là vous êtes en droit de vous demander en quelle langue Acin chante ses textes et moi, derechef, de vous répondre both. Deux des onze chansons sont en français, et faire subir ce traitement à la country peut sembler extrêmement risqué mais si le chant d'Acin (évitant beaucoup des pièges mielleux que le chant "rock" en français peut présenter) est déhanché juste comme il faut, la musique est en rupture avec le reste de l'album, penchant plutôt du côté de l'Europe Centrale que du Far West, ce qui évite une éventuelle dénaturation du canon de la country music tel qu'on l'a en tête. Malgré tout, l'ensemble est cohérent et c'est un album de saison. De cette saison, je veux dire. Un disque à passer en voiture, sans climatisation, la sueur perlant au front, l'esprit bousillé par les quarante degrés qui vous ont pris au cou dès que vous êtes sortis de chez vous pour aller bosser, et qui ne vous lâcheront pas avant votre dernière seconde de conscience, sur l'oreiller, après une journée de surchauffe permanente. Attention à ne pas écouter "Snake Eyes" sur votre I-phone, d'ailleurs, c'est incompatible ! Ces trucs-là fondent comme neige au soleil sous lequel vous vous devez d'écouter Heartbreak Hotel. Tout comme l'ordinateur portable de ma copine s'arrête parfois, de son propre chef. Il chauffe tellement qu'il s'arrête, c'est une sécurité pour qu'il ne fonde pas, et j'ai la même sécurité dans la caboche, parole. L'autre jour, au boulot, il faisait si chaud que je me suis mis "on hold" pour ne pas griller un plomb : j'étais immobile au milieu du magasin, étendu au sol, les gens passaient devant mon corps inanimé et mes collègues n'ont même pas bronché, ils ont l'habitude maintenant.

Enfin toujours est-il que c'est l'un des rares groupes issus de l'Hexagone à autant m'évoquer le soleil (on peut aussi penser à SunJ, ou Enrico Macias) et à réussir aussi bien à retranscrire une musique qui, en sa contrée, n'est plus que l'ombre d'elle-même. Si vous n'avez jamais entendu la moindre note d'un disque de country enregistré aux États-Unis depuis dix ou quinze ans, estimez-vous heureux : ça n'est que gadoue commerciale produite de la même façon que peut l'être un disque de Justin Nozuka, parfois agrémentée de vulgarités ou de machisme et servant coup sûr les plus plats des lieux communs. Ce courant-là est le plus important, et si l'on excepte ce que l'on appelle "country alternative" (pensez Wilco), qui fait avancer les choses, la country music de qualité est celle qui ressasse les mêmes suites d'accords, les mêmes thèmes, celle que ses détracteurs appelleront réactionnaire, mais qui n'est qu'une musique traditionnelle à la durée de vie (logiquement) supérieure aux quatre ou cinq ans (maximum) habituels que l'on donnera à n'importe quel genre à la mode depuis la moitié du vingtième siècle. Qualifier cette musique de réactionnaire équivaut à assister à un festival en Éthiopie et qualifier de réac' un joueur de lyre bagana de vingt-trois ans. La musique traditionnelle est intrinsèquement vouée à ne pas beaucoup se développer, à ne jamais se révolutionner, ça n'est simplement pas la question. Et le fait qu'elle soit partagée, réécrite et réinterprétée fait partie d'un processus millénaire qu'aucun de vous bande de sagouins ne pourrez empêcher.


Coconut Juice

Quant à Heartbreak Hotel, le groupe s'inscrit directement dans ce rôle de gardien de flamme éternelle, même s'ils ne sont pas nés dans le pays concerné. On pense donc forcément aux ainés qu'Acin aimait tant. Son chant (sans accent apparent) rappelle tantôt Bob Dylan, tantôt le frêle timbre de Willy Nelson, et ses chansons ont parfois un quelque chose rêveur de Woody Guthrie (Hollywood Rose) quand elles ne vont pas fureter vers une tradition plus tropicale (la calypso, sur Coconut Juice). Vous n'apprendrez rien de nouveau en écoutant "Snake Eyes" (si ce n'est que deux français valent bien mieux que tout un pan du marché américain) mais vous pourrez vous régaler d'une poignée de bonnes chansons écrites par celui qui fut l'un des rares cowboys parisiens, et qui s'en est allé en laissant cette ethnie (en voie de disparition) bien orpheline.



Joe

5 commentaires:

  1. Bonjour t'as des news sur quand il sort l'album de GIRLS?

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  2. Alors ça c'est de l'article ! Je l'avais pas encore lu et je regrette pas de m'être pris par la main pour le faire. Super article ! Ton topo sur la musique traditionnelle m'a foutu les ch'tons ! T'as un aplomb et un dynamisme bien à toi, tu me plais. J'aimerais bien écouter ce disque à l'occasion, en espérant qu'il me fasse oublier à tout jamais le Snake Eyes de De Palma.

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  3. A j'avais pas vu cet article, j'adore l'album de Heartbreak Hotel, j'ai même parlé à Nikola Acin pour de vrai, un fort bon souvenir contrairement à d'autres rencontres "musicales"...il m'avait même offert des badges HELLBOYS en guise de présent ! L'album était déjà sorti et disponible avant sa mort, c'est sur le label de Yarol Poupaud, Bonus Tracks, mais c'était simplement en digital et avec une autre pochette, c'est après coup qu'il est édité en physique.

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  4. D'ailleurs la réédition est de toute beauté. Coffret cartonné, DVD bonus avec les clips de chaque chanson et livret avec les paroles : la classe.

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  5. Je l'attendais, il me le faut, j'ai du l'écouter sur deezer durant des mois ! ...

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