Le High School, c'était de la musique jouée et chantée par des teenagers pour d'autres teenagers, ça parlait du lycée, des cours, de l'éclate, du coca cola, des bagnoles, des filles, et de tout ce qui faisait la vie des teenagers à la jonction de deux décennies de confort moderne américain.
C'est une branche évolutive qui s'envole depuis le tronc de l'arbre de la musique commerciale, juste au dessus du "Bubblegum", dont elle se différencie par un peu plus de fougue. La Bubblegum Pop de l'époque, pour rappel, ce sont des types comme Neil Sedaka ou Del Shannon qui la gèrent.
Le style a connu une heure de gloire au tout début des années 60, lorsque le rock'n roll s'est essoufflé (Elvis faisait son service, Chuck Berry était en prison, Little Richard entré dans les ordres, et le genre n'arrivait pas à se renouveler). Les paroliers ont été remis au travail à plein régime dans les centres de production musicale (Philly, NYC et Los Angeles) et des groupes se sont formés sur les cendres encore fumantes de la première génération rock.
(Une parenthèse ici pour signaler que tout ce que vous avez lu jusque là je le sais parce que j'ai lu Nik Cohn ("A wop bap a loo bop a wap bam bom", Editions Allia), donc rendons à Cesar ce qui lui appartient.)
Ces groupes étaient souvent composés d'en moyenne trois à cinq chanteurs dont un meneur, et jouaient beaucoup sur les harmonies vocales et les mélodies bubblegum, le tout ressemblant à du rock'n roll aseptisé, dont on n'aurait gardé que l'apparence pour en retirer tout ce qui en faisait l'essence.
Le portrait que j'en brosse semble bien peu ragoutant, mais bien entendu, comme souvent, il y en eut pour se révéler meilleurs que d'autres, et je vais vous causer de deux groupes de cette vague qui me paraissent être les deux les plus intéressants.
Frankie Valli & The Four Seasons était l'un des meilleurs groupes de pop américaine du début des années soixante. Axés autour de Valli, ils ont enchainé les tubes Highschool de 62 à 65 sans discontinuer. Vous allez me dire "Mais de qui tu causes ?", ce à quoi je répondrai: vous les connaissez.
Souvenez vous, en 1967 sortait un hit d'envergure intemporelle, qui a par la suite été repris par des tas de groupes, de Muse à Abba, à savoir Can't Take my eyes off you.
Ca y est ? Vous les remettez ?
Bon, à partir de là vous pouvez aisément imaginer les trois autres saisons épuiser leurs choeurs infinis pendant que Valli utilise son falsetto énorme sur des compositions un peu plus légères, à base de "Baby, don't go oh noooo / Cause I love you sooo oohoohhh" à longueur d'albums pendant 4 années entières et décrocher le haut du top 50 régulièrement.
Avec des chansons comme Walk Like a Man ou An angel cried, le groupe atteint le firmament du style High School assez vite mais s'essouffle vers 1965 en même temps que celui-ci, en manque de renouvellement, jusqu'à ce que...
En 65 et 66, alors que la Pop commerciale se tourne d'avantage vers le folk rock de la côte Ouest (Lovin Spoonful, Byrds, etc...), ou vers le blues électrifié de Bob Dylan ou Eric Clapton, le style High School tel qu'il était est mourant et il va lui falloir le travail acharné d'un Brian Wilson aventureux pour redorer son blason.
I'm adventurous !
Comme chacun sait, les Beach Boys sont nés en créant la Surf Music, et leurs albums de 62 à 64 (avec une apothéose sur le fameux All summer long) furent consacrés à développer sur ce thème californien de musique du soleil, de la plage, des filles et des bagnoles.
Sauf que, là aussi, après avoir eu bien fait le tour de son propriétaire, Brian Wilson a eu envie de s'attaquer à des choses plus raffinées et grandes, et avec Today!, album de transition, il a commencé à introduire des éléments qu'il développa sur Pet Sounds, et qui firent ressembler sa musique, moins à de la surf music qu'à du High School pur et dur remis au gout du jour. Les arrangements, notamment, devenaient plus coquets, on entendait plus de cordes, et les paroles étaient moins centrées sur les bagnoles et la plage pour se concentrer sur des histoires d'amour pour teenagers. Le rythme en outre, semblait quelque peu changer, et le jeu de guitare perdre ses automatismes cdaliforniens, mais ce n'est que sur Pet Sounds que la transformation prenait vraiment sens, lorsque la guitare y était reléguée au stade de remplaçante, alors que le clavier (et tout un tas d'instruments, on était bien loin de la formation classique guitare/basse/batterie de leurs débuts) prenait le devant de la scène. Ainsi sur des compositions comme You Still Believe In Me ou I'm Waiting for the Day, Wilson réussissait-il à s'emparer du travail mélodique d'un groupe comme les Four Seasons pour l'intégrer au son de son groupe, et y allait de sa fougue
A ce point du récit, je rappelle que je ne suis pas là pour faire un cours sur les Beach Boys, mais bien pour vous démontrer, si besoin est, l'évolution de ce groupe d'un genre vers un autre, et la filiation que l'on peut bien retrouver entre les Four Seasons et les Beach Boys, tout cela n'étant qu'un marche-pied vers la troisième partie de ce texte qui en est le coeur, à savoir un commentaire sur ce qui est selon moi le dernier grand disque de pop High school, à savoir...
En 1969, les Four Seasons font un retour fracassant avec un album qui pourrait apparaitre comme "concept" mais ne l'est pas: The Genuine Imitation Life Gazette.
La recette de base est la même que quelques années plus tôt: Valli est au premier plan et les Seasons balancent des grosses harmonies vocales bien senties.
Ce qui a changé c'est qu'en l'espace de 4 ans, les Four Seasons ont pu appréhender la pop dans ce qu'elle est devenue depuis que des types malins comme Dylan, Wilson ou les Beatles l'ont bousculée: arty.
Arty dans la seconde moitié des sixties, ça peut donner "bandante et expérimentale" (comprendre Velvet Underground), ça peut aussi vouloir dire "intello, nombrilesque, complaisante et hippie" (comprendre Sergeant Pepper, A quick One while he's away...). Mais les Seasons se sont aventuré pile entre les deux, dans le trou creusé juste avant eux par ce bon vieux Brian Wilson, là où l'on a pour ambition de faire du beau qui soit accessible et attrayant.
En cela, ils ont parfaitement réussi leur coup. Les dix pistes de ce disque propulsent le High School vers le firmament en complexifiant son propos (les paroles sont à des kilomètres de ce qu'ils faisaient avant, pas de "Baby noooo" ou de "My girl is sixteen and I love her yeah" ici), en diversifiant sa forme (la basse assure des lignes dansantes sur Mrs Statley's Garden, le piano assure le riff de American Crucifixion resurrection, l'orgue et la batterie minimalistes sur Genuine Imitation Life,...).
Il fallait des couilles à Valli, qui avait commencé une carrière solo quelques années plus tôt pour se lancer dans un projet aussi ambitieux avec les Four seasons, sans pour autant squatter les chansons et en faire son terrain de jeu exclusif. Sur Idaho le groupe donne dans l'harmonie à quatre voix, et à aucun moment Frankie ne se démarque du lot,
Le groupe a appris en écoutant aussi bien les Beach Boys (comme le montrent les variations de tempos imprévisibles et la recherche mélodique autant que sur les arrangements) que les Beatles et le final de Genuine Imitation Life est un hommage (certains y verront un pompage, je ne suis pas aussi négatif que ces gens) direct aux dernières mesures chorales d'Hey Jude, ce que l'on pourrait reprocher au groupe si la chanson n'était pas aussi intelligemment kiffante (la guitare se posant sur les couplets est tellement bien trouvée) de simplicité.
On est alors assez loin des premiers albums des Four Seasons. On n'est plus en face d'une collection de chansons naïves sur les filles, mais devant quelque chose de beaucoup plus réfléchi et qui fonctionne tout de même à merveille, et cela parce que le groupe a su ne pas s'enfermer dans un ton intellectuel et/ou trop complaisant. A la grandiloquence de la première chanson répond la naïveté enfantine d'Idaho, et ainsi de suite...
Et j'espère que ma petite histoire vous a plu. A bientot les amis !
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