C'est entendu.
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mercredi 3 février 2010

[Comptez Pas Sur Moi] Arnaud Fleurent-Didier - La Reproduction

C'est dur de ne pas avoir l'air d'être sadique et/ou aigri quand on dit du mal d'Arnaud Fleurent-Didier. Le garçon semble tendre tellement de bâtons pour qu'on le déteste qu'on tombe tout de suite dans la facilité, dans les trop grosses ficelles de la critique anti-chanson française du XXIème siècle, et ses fans de rappliquer en disant qu'on n'a rien compris, qu'on a tout pris au premier degré, qu'on n'aime pas la chanson française en fait, qu'on caricature bêtement et fait des comparaisons caduques, bref qu'on est à la ramasse en gros. Et pourtant, il va bien falloir qu'on le dise : "La Reproduction," annoncé par certains comme le premier grand album de la décennie, ou bien plus sobrement comme un excellent essai de pop à texte dans la langue de Molière est un disque proprement ridicule et creux qui prolonge la mort cérébrale dans laquelle la musique Française à texte semble être plongée depuis une éternité à grand coup de soliloques vains et d'influences d'outre-tombe.

En soi, en se penchant avec tant d'insistance sur ce qu'on imagine être sa vie, ou du moins la représentation de la mentalité des gens qui lui ressemblent, Arnaud Fleurent-Didier nous offre une sorte de blog mis en musique, et face à ces grands articles semi-ironiques mais avec toujours un fond de sérieux, on reste un peu pantois, se disant que certaines personnes ont vraiment l'air d'avoir quelque chose à dire sur leur vie. Arnaud blogue, avec ce langage toujours un peu littéraire mais jamais non plus éloigné de l'oral, comme un discours intime dont on aurait voulu faire du roman, façon Éditions de Minuit mais sans le style, et les mots finalement semblent ne jamais transmettre quoi que ce soit d'autre qu'une sorte d'altérité inimaginable. Qu'est ce qui se passe quand on ne se reconnait pas dans ces textes, et qu'ils nous semblent être de simples successions de banalités décortiquées qui tentent vainement de toucher l'auditeur et échouent à avoir une vraie profondeur émotionnelle? Si l'on n'aime pas Arnaud Fleurent-Didier, est-ce parce que l'on n'en a pas les moyens?



Par exemple France Culture, ce morceau qui parle apparemment à tous les trentenaires ayant eu une enfance pas trop défavorisée, que cherche-t-il à montrer? Rien, sans doute, juste des vides, des absences, ce qui a manqué, ce que les aïeux n'ont pas transmis : on le voit aussi dans d'autres morceaux de l'album. Mais Arnaud Fleurent-Didier fait de ce sujet qui pourrait être vaguement universel une dissertation assez vide à l'horizon limité, avec des successions de phrases en vrac comme seul moyen de définir ce qu'il est aujourd'hui et qui placent finalement ses morceaux dans une époque, un lieu, un contexte précis, alors que le sujet aurait mérité sans doute plus de hauteur, moins d'acharnement à vouloir tomber dans le concret, le petit, le quotidien. Le pire est atteint quand il teinte ses chansons d'un peu d'ironie, comme sur My Space Oddity (un morceau qui parle de Myspace, oui, sans rire), avec sa prose qui se veut acide et pas dupe vis à vis de notre époque ("Sur Myspace on rigole bien/On se fait des blagues et plein de copains"). C'est non seulement affligeant et pas drôle du tout, mais ça crée un univers un peu second degré dans lequel l'auditeur ne sait plus très bien ce qui est de l'humour, et ce qui n'en est pas. Ce flou est peut-être ce que l'on peut faire de pire en guise de paroles de chansons, c'est un procédé à la fois paresseux et insupportable.

Arnaud blogue, et à la fin de chacun de ses posts, il met le morceau qu'il est en train d'écouter en ce moment. Sous France Culture, il y a "Currently Listening : Serge Gainsbourg - Initials B.B.". Sous Mémé 68 (oui, il y a un jeu de mot), on peut lire "Currently Listening : Michel Polnareff" et le résultat donne l'un des pires refrains de l'album. Les influences sont tellement évidentes, les ficelles tellement grosses que l'on se demande où il veut en venir, si c'est une volonté de déférence face à des artistes qui ont du marquer sa jeunesse ou bien une vraie naïveté qui serait donc proprement terrifiante. Je vais au cinéma est un tel pastiche de William Sheller que l'on se demande si ce n'est pas un exercice de style. Il affirme que non en interview, on ne sait pas quoi en penser. Et là encore, la frontière ténue entre premier et second degré qui rend cet album si insupportable. Ces instrumentations qui sont d'un kitsch 70's outrancier sur des morceaux comme l'ignoble Risotto aux Courgettes (avec ses bruits de fouets en bonus qui suivent les paroles pour un effet horripilant), comment les prendre, comment les interpréter? Pris avec sérieux, l'album semble s'effondrer souvent sous une laideur infinie venue d'un passé que l'on aimerait ne jamais avoir à exhumer. Pris avec humour, on a le spectacle peu reluisant de la blague jaune musicale qui cache l'espèce de plaisir semi-honteux d'écouter des choses pareilles. Là où un artiste comme Katerine, auquel Arnaud fait parfois penser, a réussi à créer un univers bien à lui tout en incorporant ses influences (sur un album comme "Mes Mauvaises Fréquentations" par exemple, il y a 14 ans...), "La Reproduction" semble in-foutu d'avoir un style, une originalité, une présence, et sonne comme un catalogue générique d'ambiances vieillottes venues des années 60 et 70, incorporant des bribes d'actualité en la présence de synthétiseurs ignobles et d'une production lisse et molle.

En fait, l'album d'Arnaud Fleurent-Didier ressemble à un film de Christophe Honoré. Noyé dans ses influences qu'il ressasse sans aucun effort mais avec le secret espoir que les gens y verront sa propre patte, il se penche, se courbe et s'effondre sur lui-même en cherchant naïvement à y trouver un sens qui puisse porter chez chaque auditeur. Mais au final, ne restent que des voix monocordes qui ne transmettent rien et ennuient doucement quand elles ne provoquent pas des rires nerveux face à tant de bruit pour rien. Voilà un album qui voulait se pencher sur l'infra-ordinaire, magnifier l'intime, décortiquer la parole inutile, et qui finalement échoue lamentablement et sans style. Comme une conversation à sens-unique avec un mec auquel on n'a de toute façon rien à dire.


Émilien