C'est entendu.

jeudi 26 janvier 2012

[Fallait que ça sorte] La complainte du Roi Bourdon, Quatrième Partie

1996 : "Pentastar : In The Style of Demons "

Ce n’est pas parce que ça ne va pas fort qu’il faut tirer la gueule. Ni qu’il faut s’embourber dans la ratiocination. Partant de ce principe, Dylan Carlson, la tête largement sous l’eau, et dans des enfers artificiels, continue de faire évoluer sa planète Terre, en lui donnant cette fois-ci la forme qui ressemble de plus près à un vrai groupe de rock. Une batterie, un bassiste, un organiste, une seconde guitare plus experte que la sienne, celle qui vrombit. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à creuser son sillon, lenteur et répétition, toujours, Intro en atteste, un riff, un seul, génial, évident, accompagné de sa rythmique lourdaude, asséné une bonne trentaine de fois à l’identique avant qu’une pointe d’orgue ne vienne relever le plat pour une ou deux tournées supplémentaires. Aucune crainte de voir Earth devenir conventionnel donc, on peut démarrer la bagnole et faire un tour dans le désert. High Command, la voix de Carlson s’y fait entendre dans un brouillard de stoner enfumé, qui sent bon le matos illégal des seventies, on y décèle même une mélodie dessinée par les riffs.


(High Command)

De la défonce, et des hallucinations, sublimes. Puis, Crooked Axis For String Quartet, ambient hypnotique et planant, au détour de quelques cactus, du drone chaud et aqueux dans lequel on nage comme dans un océan infini sans côte à l’horizon, la plénitude totale ou l’angoisse absolue, selon l’humeur. Jamais encore le son de Earth n’aura sonné autant comme l’Americana. Sur Tallahassee, des échos de desert-rock pointent derrière le mur du son aux mouvements telluriques, on shoegaze sur ses bottes de cow-boy, c’est la dernière chevauchée dans un paysage dévasté. Sans jamais quitter ses atours soniques de lourdeur graisseuse, on convoque nul autre que la légende Jimi Hendrix, pour une reprise instrumentale bien poussiéreuse et rentre-dedans avant le psychédélisme mis en boucle de Peace in Mississippi. Alors évidemment ce n’est pas Carlson lui-même qui joue le rôle de Jimi, faut pas déconner non plus. Carlson bourdonne, comme la majesté qu’il est, poussant le son de son groupe de rock (yeah baby !) vers la limite physique des potards.



(Crooker Axis For String Quartet)


Et puis malgré toute l’énergie qui se dégage de ce stoner un peu abimé aux entournures, au rythme trop trainant pour être vraiment honnête, quelque chose de plus triste affleure, une mélancolie, une inquiétude. Charioteer (Temple Song) refait le coup du riff simple mais superbement mis en boucle, accompagné de guitares acoustiques en contrepoint, la ritournelle en a visiblement gros sur la patate, c’est beau et c’est pas gai. Et quand Carlson sort son piano, c’est pas pour apprendre à en jouer, Sonar And Depth Charge est en filiation directe avec le minimalisme qui l’obsède : deux notes à nu qui résonnent dans le vide, encore presque trop rapides pour bien profiter des silences, mais dont la répétition à l’infini provoque une sorte d’hypnose engourdissante, si bien que la moindre variation qui surgit, rarement, et sur la fin, fait figure d’événement majeur. Est-ce bien Earth que l’on entend toujours dans ce martèlement abruti de piano ? Quand surgit Coda Maestoso in F(Flat) Minor, impression de déjà vu. Mais oui, c’est à nouveau l’Intro, le disque aurait-il tourné en rond dans le désert ? Non, cette fois des couleurs différentes surgissent de suite, l’orgue remonte à la surface très vite, et se met lui aussi en boucle, règle son pas sur le pas de ce riff indiscutable, pour avancer sans relâche alors que l’intensité semble petit à petit augmenter. Et, oh surprise inattendue, d’un coup tout se lâche dans un solo de guitare qui ne demandait que ça, une jouissance, un orgasme vers lequel tout se tendait depuis le début. Peut-être ce désert menait-il directement à ces années 70 bénies, sex on the sand landscape, comme dans le film d’Antonioni, ou peut-être n’était-ce qu’un mirage à l’horizon. Ce morceau parfait, le dernier de Earth avant de longues années, ressurgira logiquement lors de la résurrection comme l'un des classiques de Dylan Carlson, qui pour le moment, arrête son engin, et disparaît au loin dans le fuzz, dans son brouillard.


(Coda Maestoso in F(Flat) Minor)


D.E.L.

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