Je ne connais rien à la musique.
Lester Bangs
Il y a fort longtemps que je souhaite vous parler de Lester Bangs. Cet homme-là fait partie de ces choses ou de ces gens que j'ai mis du temps à aimer. Il fait partie de ces choses ou de ces gens qui réclament de la patience, de l'attention, et un abandon total. Un peu comme Nine Inch Nails, qu'on exècre aux premières écoutes et qui finit par nous prendre à revers, à rebours. Au départ je haïssais réellement Lester Bangs et puis tout d'un coup, j'ai saisi l'homme et la noblesse de son humour vibrionnant, et j'ai amèrement regretté mes premiers jugements hâtifs. Désormais je porte un amour et une admiration sans limites à cet homme.
Avec Lenny Kaye (collaborateur de Patti Smith, rock critic et l'homme qui a eu l'idée de compiler les fameuses Nuggets), Lester est ma plus grande passion critique de la musique rock moderne. Il faut dire que Lester a eu les moyens de se surpasser, lui qui a été entouré d'une troupe solide et hilarante (Richard Meltzer, Nick Tosches, Greil Marcus ou encore Robert Christgau pour ne citer que les plus célèbres), ainsi que d'une équipe de rédaction fidèle et d'un magazine attitré : Creem.
Là où d'autres faisaient leur chemin en tant que professionnels et ne pouvaient que s'éloigner de la critique rock en devenant des salariés du business de la critique rock subventionnée et du potinat people, Lester Bangs semblait davantage impliqué dans le choix et la récurrence de thèmes suggérés par lui-même et toute sa bande de bras cassés (le rock à trois accords, le bruit, ainsi que des choses bien plus ambitieuses que le rock progressif...) au fil d'improvisations continues. Parce que Bangs travaillait avant tout pour l'équipe, il ne monopolisait pas les caméras et s'adressait à ses lecteurs à la première personne du pluriel. Une de ses grandes qualités c'est aussi son talent pour faire écrire les autres et pour les faire briller (comme ce fut le cas pour Cameron Crowe, auteur de Presque Célèbre, ou de Jim DeRogatis, auteur de la biographie posthume de Lester, Let it Blurt ("Mégatonnique Rock Critic" dans son édition française). Un mec en or, quoi.
Au point que d'année en année son travail se fit de plus en plus précis et efficace. Les temps morts des premières œuvres disparurent, l'humour se fit plus acéré et d'une liberté absolue. Bangs semblait toujours opter pour l'essentiel, l'évident, et poussait les artistes à donner leur maximum, avec comme méthode l'idée indélicate de commencer chaque interview par la question la plus impertinente ou offensante qui pouvait lui venir. Les mêmes thèmes revenaient sans radotage et son personnage de grand enfant fondamentalement bon et redoutablement grossier était fait de couleurs et de traits uniques.
En somme il y a un esprit Lester Bangs, commun à tous ses travaux. Un esprit très fin dans sa grossièreté (car il ne s'agit pas de vulgarité) apparente. Aucune bassesse dans ces écrits, ou alors involontaires, et regrettées puis expiées par la suite. Lester était un gosse de 2 mètres de haut et il avait la moustache de Magnum. Il était si ringard qu'il en devenait cool. Un peu comme l'un de ses sujets favoris Don Van Vliet, qui après une demi-vie de musicien d'avant-garde, s'est laissé aller à faire ce qu'il aime apparemment le mieux faire : peindre.
Je considère Lester Bangs comme un auteur, dont l'œuvre, cohérente à souhait, est à considérer dans son ensemble. C'est le plus grand auteur américain de tous les temps, même s'il n'a jamais pris le temps d'aller jusqu'au bout de l'un des romans qu'il avait commencés, trop occupé à écouter des disques et à disserter sur la culture populaire, et à en devenir l'un des acteurs. J'exagère peut-être (quoique...). Bangs, dans chacun de ses articles, dressait des portraits touffus, fouillés, entiers, très différents et à la fois toujours attachants des musiciens, qu'il respectait immensément, véhiculant toujours un message sincère et simple, évident, glorifiant l'amitié et l'enfance. Le souffle de vie de Lester et de ces personnages auxquels on s'identifie toujours, dont on a envie d'être l'ami intime, l'oppose à bien d'autres soi-disant critiques du moment. Je pense par exemple à Tania Bruna-Rosso. J'ai bien envie de terminer cet éloge de Lester Bangs par un pet rapide et fulgurant sur Tania Bruna-Rosso. Tania Bruna-Rosso est à Lester Bangs, ce que Daniel Moreira est à Didier Drogba. Il est à Bangs ce qu'un pigeon voyageur aveugle et amputé d'une aile est à MSN live messenger. Tania Bruna-Rosso est à Lester Bangs ce que mon relevé de banque est à mon relevé de notes, et si je suis bon élève, niveau finances je suis vraiment à payole !
Vous allez me dire, tout cela est bien charmant, mais où peut-on lire les écrits ancrés dans l'actualité d'un américain mort depuis bientôt trente ans ? Et surtout quel intérêt ?
Trois lectures essentielles sont disponibles dans la langue de Molière.
Premier recueil de textes, basé sur les deux Tables des Matières proposées successivement par Lester de son vivant à des maisons d'éditions, Psychotic Reactions & autres carburateurs flingués est l'ouvrage qu'il vous faut lire avant le reste. Greil Marcus, le fameux critique et auteur, ami et mentor de Lester, l'a édité suivant une Table des Matières révisée pour raconter l'histoire de Lester. La majeure partie de ses écrits les plus importants y figurent, dans un ordre chronologique, mettant de façon passionnante en exergue l'évolution du personnage de Lester, de son écriture, et de ses idées, avec notamment des revirements d'opinions sur des disques, des artistes ou des attitudes, comme dans l'article du Village Voice, "Les suprématistes du bruit blanc," traitant avec fort à propos du racisme dans le milieu Punk. On y trouve aussi une épopée anglaise en compagnie des Clash, véritable aventure réaliste et remettant les choses à leur place quant à l'idéalisation des musiciens, tout comme l'entretien de Lester avec Richard Hell. La passion infinie de Lester pour le Velvet Underground, Patti Smith ou l'album de Van Morrison, Astral Weeks, vous laisseront babas, mais c'est sur les interviews et reviews de disques de Lou Reed que vous vous ruerez en priorité. Ce sont les écrits les plus célèbres de Lester, et ce n'est pas pour rien : deux junkies tétus, bavards, intellectuellement en conflit et agressifs dans la même pièce et le résultat est là.
Second recueil, assemblé par son ami John Morthland, Fêtes sanglantes et mauvais goût n'est pas seulement un bonus à Psychotic Reactions : c'est un complément.
En effet, dans son optique chronologique, Marcus a laissé de côté de nombreux pans de l'oeuvre de Lester, et dans ce recueil, d'avantage classé par thèmes que suivant la chronologie, on retrouve des artistes plus obscurs, mais aussi des compilations concernant des valeurs sûres telles les Rolling Stones, Lou Reed ou Miles Davis. Le passage le plus intéressant est le chapitre consacré aux voyages de Lester : Californie, Austin, France et surtout la semaine passée à Kingston, en Jamaïque, écho de l'épopée anglaise du premier volume.
Le troisième ouvrage, écrit et compilé par Jim DeRogatis (auteur et critique rock du Chicago Sun-Times, entre autres) est une biographie très documentée de Lester, retraçant son enfance à El Cajon, ses débuts en tant que rock critic, son déménagement à Detroit pendant l'ère Creem, puis la fin de sa vie à New York, à travers le mouvement Punk, ses conquètes, ses addictions et ses amis. Le seul reproche que je peux faire à cette bio est le passage consacré à la mort de Lester, beaucoup trop précis, médical, froid, et finalement inutile, pour le quidam ayant lu les deux cents cinquante pages précédentes, plus intéressé à priori par la vie de Lester que par sa mort, mais passons. Pour dire les choses clairement, une biographie est souvent rébarbative (chiante à mourir), celle-ci tient largement la route, et apprend plus qu'elle ne déshabille.
Maintenant, "pourquoi lire Lester Bangs ?"
Parce que c'était un grand auteur et que personne n'a jamais mieux écrit sur la musique rock.
Pourquoi lire Victor Hugo ? Tocards....
Les gars, je suis désolé, mais moi NIN, la première écoute a été le coup de foudre immédiat. Je m'en souviens encore. C'était le matin, je mettais toujours un CD de la bibliothèque dans mon lecteur qui me servirait de reveil le matin. Et ce matin là, j'entend le boum boum boum de Mr. Self Destruct. J'étais sous le charme déjà. Sans rire. Je pensais que cet album était sorti en 2001. Erreur.
RépondreSupprimerVoilà de l'anecdote.
En fait, moi aussi j'ai aimé assez vite, mais je ne connaissais qu'une seule chanson, The Great Below (et un peu Hurt), alors c'est différent que si j'avais commencé sur Mr Self Distruct.
RépondreSupprimerCite tes sources ou je te colle un procès au cul. Je suis pas procédurier mais faut pas se frotter à moi. Tu me dois de l'argent.
RépondreSupprimerAmis lecteurs, vous noterez que l'agressivité dans le message précédent est due au fait que cet article soit un hommage sous forme de plagiat de l'article paru la veille sur ilaosé :
RépondreSupprimerhttp://ilaose.blogspot.com/2009/05/step-brothers.html
J'avais toujours rêvé de perpétrer un vol intellectuel, alors j'ai volé mon bro.
C'est pas du vol, mais du viol à ce niveau-là. Judiciairement parlant, c'est pas la même chose!
RépondreSupprimerBon, je l'ai lu, c'est dommage en fait le copiage au départ, faut lire après. Ca m'interesse vachement, tu les as lu en C-Fran ou en Glé-An les bouquins? C'est à dire que le premier, coute 22€ en français, 11€ en anglais. C'est chaud hein! Chaud patate!
RépondreSupprimerJe les ai tous lus en Français, même si j'ai aussi lu pas mal d'articles de Lester en Anglais. Si ce que tu cherches est un conseil, disons que les éditions françaises sont super bien traduites, et très classes. Bien sûr c'est toujours mieux de lire en Anglais, mais je ne crois pas que ce soit si grave dans le cas présent.
RépondreSupprimerJe pige pas en quoi le copiage est dommage, par contre... C'est un clin d'oeil, un hommage, un vanne. Si c'est le simple concept du plagiat de l'article de mon frêre qui choque, je serai déçu par un tel manque d'humour et un tel conformisme de ta part. Rappelons que seule la première partie de l'article est basée (oui parce que pas mal de choses ont été modifiées) sur le-dit article, d'ailleurs. Le reste est original, comme le sera le second grand article consacré à Lester, qui paraîtra demain.
Nonon je dis pas c'est dommage genre c'est con de l'avoir fait et c'est de la merde, hein, c'est marrant! Mais c'est juste que comme j'avais pigé le concept, j'avais lu en diagonale et tout, et j'avais pas vu la partie sérieuse! Mais je l'ai lue après, elle est cool ouais.
RépondreSupprimerBon, alors ça va :D
RépondreSupprimerbel hommage ! :D
RépondreSupprimerVivement la deuxième partie. oh que oui. Surtout que je lis "Psychotic Reactions" en ce moment, et que c'est savoureux.
RépondreSupprimerLa deuxième partie sera publiée dans les deux jours, promis !
RépondreSupprimerBonjour, sauriez-vous si l'essai "Free Jazz Punk Rock" est inclus dans un des receuils?
RépondreSupprimerMalheureusement, ce n'est pas le cas. Mais je sais qu'il existe divers moyen de lire cet essai en version originale (si l'Anglais ne vous rebute pas), notamment sur ces deux sites internet :
RépondreSupprimerhttp://www.notbored.org/bangs.html
http://www.monoculartimes.co.uk/monomusic/freejazzpunkrock_1.shtml
J'ignore, par contre, si l'essai a connu une traduction dans la langue de Molière. J'espère avoir pu aider !